Un seul mot d'ordre aujourd'hui, DOUCEUR... Le reveil à 5h45 se fait comme les chats, je m'étire dans tous les sens jusqu'au bout des orteils, ne surtout rien agresser ce matin du coté des muscles et des tendons. Mon sac est pratiquement bouclé, juste mon petit déjeuner à prendre "tranquillement", au milieu des jeunes Américains qui sont excités comme des puces, une vraie colonie de vacances...
La météo n'est pas vraiment bonne, il a plu une bonne partie de la nuit et quand je pars un peu avant 7h, ça tombe encore mais doucement. J'ai fait 2 choix ce matin, sans parler de la douceur.
Le premier c'est de partir en teeshirt sous ma veste de pluie mais directement avec mon poncho. Cela me fait une couche de protection supplémentaire pour le vent et le froid, mais comme on va monter des le début, de ne pas transpirer dans ma polaire que je garde sèche pour l'arrivée.
Le second c'est de ne pas déplier mes bâtons de marche. Ils me donnent du rythme et une force pour avancer , or aujourd'hui il faut que je monte en douceur, il y a 27 km de montée, et je ne veux pas risquer de me griller en cours de route, je me connais!!
Juste quelques lacets âpre mon départ je me retourne pour faire cette photo de Villafranca au petit jour. C'est vrai depuis le col de la Cruz de Ferro, le paysage à complètement changé et même si on est encore en Castille, on est déjà en Galice pour la végétation et le décor. Pendant toute la montée ce ne sont que forêt de chênes et Châtaigniers, très bien entretenues d'ailleurs qui vont accompagner mon ascension. Quelques murs fleuris, une vieille église et à La Portela, une inscription qui annonce qu'il reste moins de 200 km pour Santiago, ça va vite!!
Je maintiens un rythme doux et régulier et surtout je laisse filer quelques "lièvres" qui courent vers les sommets comme si ils allaient louper le dernier métro!! En parlant de métro, il y a un business des taxis pour passer cette étape, c'est incroyable. Pour certains cela fait déjà le 4ème passage depuis le début de matinée...
Après 3h de marche, je fais une petite pause dans un bar pour prendre mon "café americano" et un sandwich au serano. Même en marchant tranquillement, j'avance bien. La montée est repartie en deux tronçons. Le premier fait en gros 19km et monte régulièrement mais pas trop fort. Le second fait 9km et attaque la falaise... Juste avant on traverse un dernier petit village qui donne une vue sur les hauteurs, tout est bouché et il n'y a rien à attendre en terme d'amélioration du temps. Pour les amateurs d'immobilier qui ont trouvé que mes propositions de château à racheter et restaurer en France étaient trop "grandioses", j'ai repéré quelques maisons plus petites en vente sur la route...prévoir également quelques travaux!!
Il pleuviote, mais comme j'ai attaqué les 9 derniers km cela ne me gêne pas trop. Je reste concentré sur mes pas en "douceur" et j'avance. Ce que je pourrais considérer comme frustrant dans ma progression c'est que l'on passe d'un vallon à l'autre sans savoir quand ça va se terminer, et ce n'est qu'un début.. J'ai même quelques faux espoirs déçus qui me conforte dans le fait de rester zen dans cette montée qui s'est faite en grande partie pour le moment sur de petites routes.
Cmme tout a une fin même les bonnes choses, on quitte le bitume pour attaquer les 4 derniers km par un chemin pentu, parfois en escalier avec des cailloux et de la boue bien sur, sinon c'est pas drôle. Je marche à flanc de montagne, et j'ai l'impression qu'on ne va jamais en finir. A chaque virage à chaque crête dépassée correspond un nouveau sommet, un nouveau vallon à contourner, et les crêtes à venir sont toujours plus hautes.
Question météo ça ne s'arrange pas, on est dans les nuages, le vent froid en prime. Tout le monde se concentre sur cette montée interminable, de toutes façons on ne risque pas d'être distrait par le paysage, comme vous pourrez le voir sur les photos, car j'ai encore le réflexe de regarder ce que je peux voir en plus de mes cailloux devant mes chaussures!!
Bon là, ça traîne de trop... Il doit rester en gros 2km et ces crêtes qui se succèdent me fatiguent...je défais mes bâtons et je lâche les chevaux, il faut en finir avec ce col. Ceux que je double sont un peu éberlués par ma vitesse en fin de parcours...j'ai les jambes pour ça, même si pour moi le col ne signifie pas arrivée, derrière j'ai encore 8km.
Et me voici enfin , en Galice et à O Cebreiro... Dans les nuages, le vent et le froid. Il était dit qu'en arrivant en Galice on trouverait un temps ressemblant à la Bretagne, mais il n'était pas précisé la Bretagne en Décembre!! Juste le temps de boire un Coca bien frais, et j'attaque tout de suite la crête du col avant de commencer à descendre vers ma fin d'étape. Je ne sais pas exactement où se situe ma maison d'hôte de ce soir. J'ai reçu juste avant de partir ce matin par mail un dessin pour me donner les grandes indications...pratique comme plan au fond de mon sac sur mon iPad... Mais comme j'ai une bonne mémoire, j'ai tout enregistré et normalement je vais droit dessus. Avec une petite réticence tout de même, ma casa est en-dehors du chemin à environ 2km en descendant...si je me trompe je vais l'avoir mauvaise, surtout mes jambes d'ailleurs, on en reparlera plus tard.
Et parfois de la nuit surgit une lumière...j'arrive dans ma Casa, une belle maison au fond d'une vallée avec une cheminée qui va me tenir chaud une bonne partie de cette fin d'après midi, et des hôtes charmants qui s'occuperont très gentiment de moi. Un vrai bonheur, et une très belle vue de ma chambre avec les troupeaux qui rentrent le soir et qui passent sous ma fenêtre.
J'ai fait aujourd'hui la dernière grosse étape de ce chemin. Elle était longue et difficile mais je m'en suis bien sorti. Si je récapitule ce que j'ai fait les 4 derniers jours, cela donne à peu près ceci... 130 km ; 2 cols à 1500 et 1400m ; 2000m de dénivelé en montée et 1460m de dénivelé en descente, de la pluie, du vent , de la neige... Donc vous ne serez pas étonnés si ce soir je vous dit que je suis...fatigué...
Ce n'est pas tellement les muscles qui sont fatigués, ils tiennent avec l'entraînement maintenant. Non c'est plutôt les tendons qui commencent a me faire le coup du chantage "si tu n'arrêtes pas, on te lâche", alors je les cajole, je les crème, je les masse, je les "aspirine" même parfois histoire de les endormir... Mais le pire c'est les pieds. Le matin quand je me dirige vers mes chaussures, ils essaient de s'enfuir, je suis obligé de les faire rentrer de force et de les attacher dans les chaussures. Il faut dire que c'est eux qui sont en première ligne et qui subissent le ratatinement de mes semelles et qui donc assurent l'interface avec les cailloux, qui assurent l'équilibre permanent... Je sens que ça va être dur de négocier avec eux cet été même des palmes, j'ai intérêt à être gentil avec eux a mon retour!!
En attendant ce soir je dors dans un bon lit, même si la chambre est "fraîche", et demain je fais une promenade de 16km pour arriver à ma prochaine étape. Je mentirai un peu aux tendons et au pieds en leur disant qu'on va a la mer...après tout la Galice et la Bretagne, c'est aussi l'océan non?